Une quinzaine de grandes entreprises ont déjà transféré leur résidence fiscale hors des Etats-Unis cette année. La Maison-Blanche veut supprimer cette possibilité, avec 20 milliards de dollars d’impôts supplémentaires à la clef.
Le patriotisme économique n’est pas que français. C’est au nom de ce principe que Barak Obama entend empêcher les entreprises de transférer leur résidence fiscale hors des Etats-Unis. Le phénomène a pris des proportions alarmantes depuis quelques mois : une quinzaine d’entreprises ont opté pour l’exil fiscal, depuis le début d’année, en rachetant des entreprises implantées dans des pays fiscalement attractifs. Le plus inquiétant est qu’il s’agit de grandes sociétés, représentant des dizaines de milliers d’emplois.
Les groupes pharmaceutiques, qui ont des montagnes de trésorerie à dépenser à l’étranger – sous peine d’être taxés aux Etats-Unis – sont les plus représentés. Deux d’entre eux ont encore sauté le pas la semaine dernière : basé en Pennsylvanie, Mylan va bientôt pouvoir payer ses impôts aux Pays-Bas grâce à l’acquisition d’une partie des Labotoires Abbott. Quant à AbbVie, il a confirmé, vendredi, son intention de rejoindre le Royaume-Uni grâce à l’acquisition de Shire.
Ils allongent, ainsi, encore un peu plus la liste d’entreprises américaines ayant rejoint l’Irlande (Medtronic, Actavis, Perrigo, Chiquita Brands, etc.) et les Pays-Bas récemment (Applied Materials, etc.). Il s’en est également fallu de peu que le géant américain Pfizer devienne britannique, via une fusion avec AstraZeneca.
L’exil fiscal s’accélère d’autant plus que les entreprises redoutent de voir la Maison-Blanche modifier les règles du jeu prochainement. Les entreprises, qui sont longtemps restées discrètes sur leurs pratiques, n’ont visiblement plus aucun état d’âme : « Tout le monde semble s’excuser de ces exils fiscaux. Pas moi. Je pense qu’il n’y a aucune raison de s’excuser », a lancé récemment le directeur général d’Abbott Miles White.
Si les sociétés sont si nombreuses à abandonner la nationalité américaine – sans délocaliser leurs équipes pour autant –, c’est parce que l’impôt sur les sociétés y est l’un des plus élevés de l’OCDE (35 %). C’est aussi parce que l’intégralité de leurs bénéfices sont taxables aux Etats-Unis, y compris ceux générés à l’étranger – un principe d’extraterritorialité quasi unique au monde.
Pour échapper à ces contraintes, les entreprises américaines peuvent facilement s’exiler, via une procédure dite d’inversion fiscale : il leur suffit d’acheter une entreprise étrangère et d’accorder au moins 20 % des actions de la nouvelle entité aux actionnaires de ladite entreprise étrangère. La Maison-Blanche veut passer ce taux à 50 %, avec un effet rétroactif au 1er mai 2014. Les PDG américains devraient donc renoncer au contrôle de la nouvelle société, ce qui serait certainement rédhibitoire à leurs yeux.
« Si nous n’agissons pas, l’exil fiscal va s’étendre bien au-delà du secteur pharmaceutique » , a martelé dimanche le sénateur démocrate de New York, Charles Schumer. La mesure permettrait de sauvegarder 20 milliards de dollars d’impôt au cours de la prochaine décennie. Le texte sera soumis au Congrès prochainement, mais en cette année d’élections, il n’y a guère de chances que les républicains fassent le moindre cadeau à Barack Obama. Ils dénoncent une nouvelle charge contre les entreprises, n’ayant d’autre but que de rallier les classes moyennes dans la perspective des élections de mi-mandat, en novembre.
Le problème est pris à l’envers, estiment-ils : il faut réduire l’impôt pour le rendre acceptable, et non pas empêcher les entreprises de le fuir. Mais Barack Obama, qui réclame une remise à plat fiscale depuis sa réélection, n’a jamais réussi à bâtir le moindre consensus sur la question.